Procès en appel de l’attentat de Villejuif : entre nouvelle donne et espoirs déçus

Publié le 08 novembre 2021
Appel de l’attentat de Villejuif

©Photo : Benoit PEYRUCQ / AFP

Le procès en appel de Sid Ahmed GHLAM, de nationalité algérienne mais résident français, a pris fin ce 28 octobre après cinq semaines de débats.

Pour les rappels de cette affaire : https://bit.ly/3woN5MV

La Cour d’assises spécialement composée en matière de terrorisme a confirmé sa condamnation de première instance : la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une interdiction définitive de séjour sur le territoire français.

Les deux logisticiens les plus impliqués ont été reconnus coupables de complicité d’assassinat, tentative d’assassinats de nature terroriste et association de malfaiteurs terroriste pour l’un et uniquement d’association de malfaiteurs de nature terroriste pour l’autre et ont été respectivement condamnés à des peines de réclusion criminelle de vingt-cinq ans et dix-huit ans sans période de sûreté contre des peines de trente ans et vingt-cinq ans chacune assortie d’une période de sûreté de 2/3 de la peine en première instance.

Concernant les logisticiens du “second cercle”, la Cour d’assises a prononcé des peines allant de cinq d’emprisonnement à treize ans de réclusion criminelle ainsi qu’un acquittement.

Si les condamnations n’ont varié que dans une mesure limitée comparativement à celles prononcées il y a un an, un certain nombre d’évolutions notables ont affleuré lors de ce second procès.

NOUVELLE DONNE EN APPEL

Dès le premier jour d’audience, Sid Ahmed GHLAM, le principal accusé, a spontanément reconnu avoir séjourné en zone syrienne, ce qu’il avait toujours nié jusqu’à présent, malgré l’évidence (https://bit.ly/3ETRWIX).

Il a reconnu s’être rendu sur zone à deux reprises au cours des mois précédant l’attentat de Villejuif d’avril 2015 : d’abord du 29 octobre au 27 novembre 2014, puis du 3 au 13 février 2015.

La Cour, le Ministère public et Me Gérard CHEMLA ont naturellement longuement questionné Sid Ahmed GHLAM.

L’accusé a expliqué qu’il avait réussi à gagner Alep accompagné de deux amis algériens en passant par la ville turque de Gaziantep, située à la frontière syrienne et ayant constitué une véritable base arrière pour les membres de l’Etat Islamique à l’époque.

A leur arrivée, ils auraient été accueillis quelques jours au sein d’une Madafa, maison d’accueil des combattant arrivés sur zone.

Il dit y avoir rencontré un prédicateur tunisien qui se serait montré intéressé par son passeport français, et l’aurait mis en relation avec la gouvernance basée à Raqqa.

C’est à Raqqa, et plus précisément lors de son arrivée au sein de la maison du gouverneur, que Sid Ahmed GHLAM dit avoir rencontré pour la première fois celui qui sera son principal commanditaire : Abou MOUTHANA (https://bit.ly/3wnGGl4).

C’est lors de ce procès en appel qu’il reconnait pour la première fois que son commanditaire qu’il appelait jusqu’à présent seulement Abou MOUTHANA était bien Abdelnasser BENYOUCEF, un algérien arrivé en France lorsqu’il était enfant, devenu vétéran du jihad afghan et tchétchène, puis responsable des opérations extérieures de l’Etat Islamique (Emir des attentats).

Sid Ahmed GHLAM a ajouté avoir par la suite reçu des cours théoriques et religieux ainsi qu’une formation au tir et maniement des armes, avec comme principal référent : le franco-tunisien Boubaker AL HAKIM alias Abou MOUQATIL, ancien membre de la filière des Buttes-Chaumont, personnage incontournable de l’Etat Islamique, qui a été l’un des principaux responsables des OPEX et des attentats commis en Tunisie depuis 2015.

A la suite de ce premier séjour en zone syrienne, Sid Ahmed GHLAM a regagné le territoire français et maintenu le contact avec Abdelnasser BENYOUCEF pour la préparation d’un attentat.

C’est sur rappel de ce dernier que Sid Ahmed GHLAM dit avoir rejoint une seconde fois le territoire syrien au cours du mois de février 2015.

A cette occasion, il aurait rencontré pour la première fois son second commanditaire : Samir NOUAD alias AMIROUCHE.

Abdelnasser BENYOUCEF et Samir NOUAD l’attendaient dans la maison d’accueil qu’il avait fréquentée lors de son premier séjour, et ils ont pris ensemble la direction de Raqqa, où il a été formé de manière intensive aux techniques de communication, au cryptage et aux armes.

Il a reçu des conseils pour commettre un attentat, et on lui a attribué l’objectif de viser la gare RER de Villepinte, d’où était originaire Abdelnasser BENYOUCEF.

Les enquêteurs ont pu retracer une partie des messages cryptés échangés au cours des mois de février, mars et avril 2015 entre la Syrie et Sid Ahmed GHLAM.

Cette correspondance absolument édifiante constitue une exceptionnelle mise en lumière du cheminement préparatoire de l’attentat envisagé, qui devait être une véritable tuerie au vu de l’arsenal retrouvé dans le véhicule de Sid-Ahmed GHLAM.

L’attentat projeté visait in fine et après de nombreux repérages effectués par Sid Ahmed GHLAM lui-même, au moins une Église de Villejuif  et plus vraisemblablement deux Églises.

Ces échanges permettent en outre de souligner l’enthousiasme et la parfaite résolution de Sid Ahmed GHLAM à la commission de ce qu’il a lui-même dénommé tout au long de l’audience : « l’acte », et ce que les commanditaires de l’Etat Islamique appellent « le travail ».

Ce procès en appel a vu naître une autre évolution notable dans la version du principal accusé : Sid Ahmed GHLAM, qui avait toujours affirmé s’être tiré une balle dans la cuisse de façon intentionnelle pour échapper à la commission de l’attentat, a finalement admis à l’audience le caractère accidentel de ce tir. 

ESPOIRS DECUS

De nombreuses zones d’ombre persistent.

Par exemple, les enquêteurs spécialistes de l’Etat Islamique considèrent que la motivation du candidat à un attentat est le critère fondamental de sélection, et que le moyen de confirmer cette motivation est que l’opérationnel exécute un prisonnier.

Si le projet d’attentat réussit, ce sont des scènes que l’on retrouve ensuite dans les vidéos de revendication et de propagande de l’Etat islamique.

Il est dès lors permis de penser que les détails fournis par Sid Ahmed GHLAM sur ses passages en territoire syrien sont à la fois partiels et édulcorés.

De plus, s’il apparaît que le troisième de ses commanditaires qu’il dénomme Abou Omar correspond à n’en pas douter à Abdelhamid ABAAOUD, belge issu d’une famille marocaine rendu tristement célèbre par sa participation majeure aux attentats du 13 novembre 2015, Sid Ahmed GHLAM a persisté dans ses dénégations sur ce point.

Subsiste enfin, et surtout, l’absence d’aveux concernant l’assassinat d’Aurélie CHATELAIN.

On se souviendra de ses explications farfelues lors des premiers débats et la thèse d’un second homme auteur de l’assassinat qui aurait été Samy AMIMOUR, ultérieurement kamikaze du Bataclan (Sid-Ahmed GHLAM et l’opportunisme : la désignation d’un second homme et l’identification a posteriori de Samy AMIMOUR).

Sid Ahmed GHLAM est revenu sur l’identification de Sammy AMIMOUR qui, de toute évidence, ne résistait à aucune logique.

Il a toutefois persisté à nier l’assassinat d’Aurélie CHATELAIN en se retranchant à nouveau derrière un second homme dont il a dit ignorer la véritable identité, thèse qui ne résiste pas à l’étude du dossier puisque, entre autres, au moment de commettre son forfait, il était muni d’un équipement pour une seule personne, et son seul son ADN a été retrouvé sur l’arme du crime, à l’intérieur du véhicule de la victime ainsi que sur les vêtements de cette dernière.

Il n’a convaincu personne, et a été condamné du chef de l’assassinat d’Aurélie CHATELAIN.

Au moment de l’énoncé du verdictSid Ahmed GHLAM a refusé d’être extrait de sa geôle. Il a ainsi été condamné en son absence à la peine maximale assortie d’une interdiction du territoire français.

Laura Costes, Avocat
Alicia Renard, juriste
Pôle attentats, Cabinet ACG