Un conseil régional de l’ordre des chirurgiens-dentistes condamné pour avoir illégalement refusé d’inscrire un jeune diplômé au tableau

Publié le 26 novembre 2020

Résumé : Le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes n’a pas la liberté de refuser l’inscription au tableau d’un chirurgien-dentiste dont il conteste le sérieux de la formation dès lors que l’impétrant a obtenu le titre qui bénéficie de la reconnaissance automatique.

Mauvaise période pour le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui vient d’être sanctionné par l’Autorité de la concurrence à une amende de 3 000 000 d’euros pour des pratiques anticoncurrentielles.

Quelques semaines auparavant c’est le Conseil d’Etat qui lui donnait une leçon de droit dans deux affaires dans lesquelles la haute autorité ordinale avait tenté d’échapper au mécanisme de reconnaissance automatique des diplômes européens.

(CE 9 septembre 2020, n°421772 et CE ord 28 septembre 2020 : ici commenté)
Cédant probablement à certaines revendications syndicales, le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes se montre réticent à accueillir certains jeunes diplômés en raison de leur cursus et de l’Etat qui leur a délivré leur titre.

A l’occasion d’une audience en référé suspension devant le Conseil d’Etat le 22 septembre 2020, l’un des membres du conseil national ira jusqu’à établir un lien direct entre l’augmentation des signalements de cas d’insuffisances professionnelles et l’accueil des diplômés de certains Etats européens imposé par le droit européen.

(j’avais l’impression d’être revenu 15 ans en arrière et d’entendre Philippe de Villiers affoler les foules en leur annonçant l’invasion de plombiers polonais si la « directive Services » dite « Bolkenstein » était transposée en France).

Son jeune contradicteur, auquel l’inscription a illégalement été refusée, aura également à subir quelques propos humiliants sur la qualité de son parcours au motif qu’il a pu, à quelques occasions, ne pas obtenir son année « du premier coup » (à quelques dixièmes de points près). Faudrait-il, pour suivre la logique du conseil national, demander les bulletins de note de son dentiste avant d’accepter d’ouvrir la bouche ?

A entendre des propos de cette nature, qui dénotent avec le prestige des murs qui nous entourent, on en oublierait presque qu’un conseil de l’ordre n’est ni un syndicat ni un parti politique mais un organisme chargé d’une mission de service public et que les prérogatives de puissance publique qui lui ont été confiées par le législateur ne peuvent être utilisées que dans le respect du principe de la légalité. (C’est probablement dans cette même salle du contentieux que cette solution était adoptée plus de 77 années auparavant – CE ass. 2 avril 1943 Bouguen, Rec. 86)

Revenons-en aux faits. A l’origine du litige, le conseil national refuse de reconnaître le diplôme de praticien de l’art dentaire délivré par l’Université portugaise « Fernando Pessoa » à l’impétrant au motif qu’il n’avait pas validé ses deux premières années jusqu’à son intégration au CLESI (centre libre d'enseignement supérieur international), en troisième année.

Il délivre donc au conseil départemental de l’ordre, saisi de la demande d’inscription au tableau, un avis informel défavorable. Le conseil départemental résiste courageusement et décide d’inscrire ce jeune dentiste au tableau.

Le conseil national forme un recours administratif et obtient l’annulation de l’inscription.

Entretemps, le praticien avait débuté son activité professionnelle dont il se trouve privé du jour au lendemain.

Ses conseils (Me Gérard CHEMLA et Me Steven CALOT) forment un référé suspension devant le Conseil d’Etat auquel ils démontrent, d’une part, que le jeune diplômé a en réalité validé tous ses ECTS (Système européen de transfert et d'accumulation de crédits), et d’autre part, que le conseil de l’ordre n’a en tout état de cause pas le pouvoir d’apprécier la qualité du cursus qui précède la délivrance du diplôme. Le seul fait que le diplôme apparaisse sur la liste de ceux qui bénéficient d’une reconnaissance automatique et qu’il soit délivré par un organisme habilité suffisent à imposer à l’Etat membre d’accueil de le reconnaitre.

Le seul pouvoir dont dispose le conseil de l’ordre est celui d’interroger l’Etat qui a délivré le diplôme pour s’assurer de son authenticité.
Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui correspond à celle que le Conseil d’Etat a adopté le 9 septembre 2020.

C’est donc en toute logique que, par son ordonnance du 28 septembre 2020, le juge des référés suspension du Conseil d’Etat décide de suspendre l’exécution de la décision annulant l’inscription au tableau.

Après avoir relevé que l’urgence était évidemment caractérisée, le juge des référés relève que le diplôme obtenu par le requérant ouvre droit au bénéfice de la reconnaissance automatique conformément à la directive 2005/36 du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005. En droit interne, cette reconnaissance automatique se traduit, dans le code de la santé publique, par la seule obligation, qui incombe aux autorités ordinales, de s’assurer que l’impétrant est titulaire du diplôme visé par l’arrêté auquel renvoie l’article L.4141-3 du code de la santé publique.

Le juge des référés en déduit que le conseil de l’ordre a fait une inexacte application des pouvoirs qu’il tient du code de la santé publique, ce qui est « de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. »

(article L.521-1 du code de justice administrative)

Le conseil de l’ordre est condamné à verser la somme de 3000 euros au jeune dentiste qui, en exécution de cette ordonnance, peut de nouveau exercer sa profession.

Cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité de l’arrêt BOUGUEN et de toutes ces décisions par lesquelles « La Haute assemblée a été (…) amenée à défendre les droits et libertés des individus contre l’arbitraire des institutions professionnelles comme elle les défend depuis longtemps contre l’arbitraire de l’Etat »

(Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, par M.Long, P.Weil, G.Braibant, P.Delvolvé, B.Genevois, Dalloz, 22ème édition, 2019, notes sous CE ass 2 avril 1943, Bouguen, page 321)

Steven CALOT, avocat à Reims
Steven CALOT
Avocat associé