La rupture conventionnelle dans la fonction publique : peut on contester un refus ?

Publié le 15 avril 2020

Depuis le 1er janvier 2020, certains fonctionnaires et agents publics peuvent conclure avec leur administration une convention portant rupture conventionnelle.

Elle permet à la personne publique et à l’agent de mettre fin à leur relation de travail dans des conditions librement consenties, à la condition qu’elles soient conformes aux règles fixées par les textes qui l’organisent (la notion de liberté étant donc à relativiser).

Le principal avantage pour le fonctionnaire, le contractuel ou encore l’ouvrier d’Etat est de pouvoir mettre fin à ses fonctions de façon anticipée tout en bénéficiant d’une indemnité à laquelle il n’aurait pas droit en cas de démission.

Pour l’administration, il peut notamment s’agir de se séparer d’un agent sans avoir recours à une procédure infamante ou complexe.

Il peut encore s’agir, pour les deux parties, d’une solution à un conflit permettant à chacune d’elle d’en sortir la tête haute sans concession insurmontable.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur les conditions posées clairement par les textes qu’il suffit de lire et qui sont très largement commentées.

Parmi toutes les questions qui se posent sur la mise en œuvre du dispositif, trois d’entre elles me semblent nécessiter une attention particulière :
• L’une des parties peut-elle refuser une rupture conventionnelle ?
• L’administration est-elle tenue de convoquer l’agent qui souhaite bénéficier d’une rupture conventionnelle même si elle n’envisage pas de faire droit à cette demande ?
• Peut-on contester un refus opposé à demande de rupture conventionnelle ?

1/ L’une des parties peut-elle refuser une rupture conventionnelle ?

C’est la question à la laquelle la réponse est la plus simple : OUI.

Les textes sont très clairs sur ce point, la rupture conventionnelle ne peut en aucun cas être imposée par une partie à une autre.

Par conséquent, l’administration ne peut pas imposer une rupture conventionnelle à un agent et un agent peut refuser la proposition de rupture conventionnelle qui lui est présentée par son administration.

De la même manière, l’administration n’est pas tenue de faire droit à une telle demande qui lui est présentée par un agent.

Par définition, une rupture conventionnelle implique un accord de volontés.

2/ L’entretien prévu par les textes est-il obligatoire ?

Aux termes de l’article 2 du décret n°2019-1593 du 31 décembre 2019 « (…) un entretien relatif à cette demande se tient à une date fixée au moins dix jours francs et au plus un mois après la réception de la lettre de demande de rupture conventionnelle.
Cet entretien est conduit par l'autorité hiérarchique ou l'autorité territoriale ou l'autorité investie du pouvoir de nomination dont relève le fonctionnaire ou son représentant. 
»

Que se passe-t-il si l’administration n’organise pas cet entretien ou si l’une ou l’autre des parties ne souhaite pas s’y présenter, ou encore, s’il se déroule hors délai ?

Compte tenu de la jurisprudence libérale du Conseil d’Etat lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère contraignant ou non des délais imposés à des commissions administratives pour se prononcer, je ne pense pas que le non-respect du délai maximal puisse avoir la moindre incidence sur la légalité de la décision de conclure ou de ne pas conclure la convention, sous réserve qu’un entretien ait lieu avant que ne naisse une décision implicite de rejet.

Aussi, il me parait hautement improbable qu’elle affecte la régularité de la convention.

Le non-respect du délai minimal pourrait quant à lui, éventuellement et selon les circonstances de l’espèce, affecter la convention de nullité pour vice du consentement si une partie, je pense en particulier à l’agent, prétendait avoir subi des pressions pour signer dans un délai très court la convention sans respect des délais minimaux de réflexion.

Mais que se passe-t-il si la décision a été prise sans avoir été précédée d’un entretien ?

Si une convention est conclue, je pense que cela pourrait caractériser un vice du consentement en cas de litige (si par exemple un agent souhaite revenir, hors délai, sur sa décision).

La réponse est plus délicate en cas de refus implicite ou explicite opposé à la demande de rupture conventionnelle.

Une lecture stricte des textes ne permet pas d’en douter : dès lors qu’une partie en informe une autre de son intention de conclure une convention portant rupture conventionnelle, un entretien doit avoir lieu pour en discuter, dans les délais minimaux et maximaux prévus.

Il me semble donc incontestable que cet entretien s’impose réglementairement.

Mais ce n’est pas parce qu’un texte impose une procédure que le non-respect de cette procédure a nécessairement des conséquences sur la légalité de décision ou la conformité de la convention.

C’est un truisme pour les publicistes : le non-respect d’une règle de procédure ne sera pas sanctionné dans tous les cas par le juge administratif. Il l’est même de moins en moins si l’on considère les jurisprudences intervenues dans le prolongement de Danthony

Conformément à la jurisprudence précitée, on pourrait éventuellement démontrer, en fonction du contexte, que l’entretien constitue une garantie pour l’agent ou qu’il présente une importance telle qu’il a nécessairement une incidence sur la décision de conclure ou non une convention portant rupture conventionnelle. Alors, le fait de prendre une décision de refus sans l’avoir précédée d’un entretien serait illégale.

3/ L’agent peut-il contester le refus de l’administration de conclure avec lui une rupture conventionnelle ?

Compte-tenu de la réponse que j’apportais à la première question sur le droit de ne pas accepter la demande de rupture conventionnelle formulée par une partie, on pourrait imaginer que la décision de refus opposée à un agent serait nécessairement légale. Tel ne peut pourtant pas être le cas.

Certes, l’administration peut légalement refuser de conclure une convention portant rupture conventionnelle.

Mais une telle décision est susceptible d’être affectée d’illégalité notamment dans les hypothèses suivantes :
• si la décision de refus est prise par une autorité incompétente pour prendre une telle décision (c’est évident...)
• si la décision n’a pas été précédée de l’entretien prévu par les textes (hypothèse que j’abordais en réponse à la question n°2)
• si la décision est fondée sur une erreur de droit, une erreur de fait, ou si elle est fondée sur un motif illégal car constitutif d’une discrimination (la pratique religieuse de la personne par exemple).

Les publicistes auront reconnu là les moyens de légalité qui sont appréciés dans le cadre d’un contrôle minimal exercé par le juge administratif, ce qui signifie que l’administration a un pouvoir d’appréciation très large et que le juge ne sanctionnera que les manquements les plus graves.

Dans le silence des textes, il ne s’agit là que d’un avis personnel sur les solutions qui pourraient être adoptées, qui pourra être confronté a posteriori aux décisions juridictionnelles qui ne manqueront pas d’intervenir dans les mois qui arrivent.

Steven CALOT, avocat à Reims
Steven CALOT
Avocat associé