Gel des délais et des procédures civiles et administratives : focus sur les ruptures conventionnelles individuelles, quel impact de l’ordonnance du 25 mars 2020 ?

Publié le 30 mars 2020

Mis à jour le 29 mars 2020 à 12h … en attendant une circulaire de clarification

On connaît le succès des ruptures conventionnelles depuis 2008. Beaucoup sont en cours en ce moment et il y a fort à parier que le rythme ne va pas ralentir à la sortie du confinement.

L’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période dans le cadre de la Loi d’urgence, pour faire face à l’épidémie de COVID 19 du 23 mars 2020 soulève des questions pratiques.

Cette ordonnance prévoit une prorogation des délais à la fois en matière civile, mais aussi en matière administrative, toutes deux en lien avec la procédure légale de la rupture conventionnelle.

 

1. Impact sur la phase d’entretien(s) préalable(s) ?

Point de délai légal ici. Donc l’ordonnance n’a pas d’incidence sur cet aspect. Mais abordons-le ici car il peut s’avérer complexe.

  1. a. L’entretien lui-même

L’article L.1237-12 du Code du travail prévoit que les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister.

Sans entretien préalable, la rupture est donc nulle. Mais si le salarié invoque cette nullité alors qu’il a coché la case relative à cet entretien dans le formulaire CERFA qu’il a signé et qu’il a également signé un récépissé de ce formulaire dont il conserve un exemplaire, il lui appartiendra de prouver qu’il n’y a en réalité pas eu d’entretien (Cass. soc., 1er déc. 2016, n° 15-21.609).

La Loi ne précise pas si cet entretien doit être physique ou s’il peut se tenir par téléphone ou visio-conférence. L’autorisation de la visioconférence pendant la période de confinement dans différentes occurrences permet de penser par analogie qu’elle ne pose pas de difficulté.

D’ailleurs, l’attestation individuelle de déplacement prévoit la possibilité de se déplacer entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle uniquement lorsque c’est « indispensable à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail » ou pour les « déplacements professionnels ne pouvant être différés ». Nous ne pouvons être certains que cela s’applique à une invitation à négocier une rupture conventionnelle.

Si l’on retient tout de même l’entretien « physique », à deux, trois ou quatre (un assistant pour chaque partie), on veillera naturellement à respecter les gestes barrière et de distanciation et il est recommandé d’insérer une clause à ce sujet dans le récépissé que le salarié et son assistant éventuel signeront à l’issue de cet entretien.

Si l’on retient l’entretien « virtuel », dès lors que l’on pourra prouver par tout moyen (courriel avec accusé de lecture, de réception, échange de SMS, invitation sur un logiciel de partage, etc.) que l’entretien s’est tenu, il ne devrait pas y avoir de débat.

Attention toutefois dans ce cas d’entretien « virtuel » à ménager également la preuve, le cas échéant, que la personne choisie par le salarié pour l’assister au cours de cet entretien (Conseiller du Salarié, représentant du personnel ou collègue) a bien été invitée également à ce « télé-entretien ».

Il s’agira donc de mentionner dans l’invitation les modalités très pratiques de tenue de ce télé-entretien (le logiciel retenu, le « tuto » pour rejoindre la réunion et pour y brancher le micro et la video (afin que les personnes puissent être reconnues, éventuellement le numéro de conférence téléphonique, ...) et de demander un accusé réception formel de ces invitations.

  1. b. L’invitation à l’entretien

La loi n’exige pas de formalisme particulier pour l’invitation du salarié à cet entretien.

Théoriquement, il suffit de pouvoir prouver par tout moyen, y compris au moyen de témoignages, que le salarié a été informé y compris verbalement, qu’il pouvait se faire assister lors de cet entretien.

Vivement déconseillé : mieux vaut éviter une contestation ultérieure de la rupture conventionnelle pour vice du consentement au motif que l’entretien aurait été bâclé sur un « coin de Skype ».

D’où les recommandations qui précèdent sur le contenu de l’invitation, notamment s’il est prévu un entretien « virtuel », à ajouter aux mentions habituelles sur les modalités d’assistance et de consultation du Pôle Emploi et de l’Administration du travail, notamment par le biais de leurs sites internet à ce sujet.

Cette invitation pourra être adressée par lettre recommandée avec demande d’accusé réception « classique » via le site internet de La Poste, par lettre recommandée électronique (LRE) via le même site, mais à condition d’avoir obtenu le consentement préalable du salarié (ce qui ne devrait pas poser de difficulté au vu du contexte nécessairement amiable de la rupture conventionnelle), mais aussi par courriel ou SMS avec un accusé réception et de lecture.

 

2. Impact sur la signature de la rupture conventionnelle

L’article L.1237-12 du Code du travail ne prévoit pas non plus de délai entre le ou les entretiens et la signature de la convention de rupture conventionnelle.

Dès lors, la Cour de cassation a estimé que, sauf vice du consentement établi, la signature pouvait intervenir le même jour ou à un jour d’écart (Cass.soc. 3 juillet 2013, n°12-19.268 ; Cass.soc. 19 nov. 2014, n°13-21.979).

Par conséquent, l’ordonnance du 25 mars précitée n’a pas de conséquence sur la conclusion de la rupture conventionnelle elle-même, ni sur sa phase préalable. En revanche, elle en a clairement sur les phases suivantes, qu’on recommandera donc d’aborder désormais dans les échanges avec le salarié.

 

3. Impact sur le délai de rétractation

L’article L.1237-13 du Code du travail prévoit que chacune des parties dispose d’un délai de rétractation de 15 jours calendaires (tous les jours comptent) à compter de la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle.

Sur la forme, rappelons tout d’abord que cette faculté de rétractation doit s’exercer selon ce texte légal par « une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie ».

Donc là encore, en la période de confinement actuelle, on préconisera soit la LRAR via internet, soit la LRE et on évitera la lettre « remise en main propre » (sic), voire le courrier électronique par courriel ou SMS ou autre forme de « chat ».

La Cour d’appel de Bourges a été amenée à valider le principe d’une rétractation par simple courriel mais à condition que son auteur (en l’espèce le salarié) soit en mesure de justifier de la date de réception du mail par l’employeur, qui en l’espèce niait avoir reçu ce mail alors que le salarié invoquait l’impossibilité pour son fournisseur d’accès à internet d’attester de l’envoi du mail (CA Bourges, ch.soc. 16 sept. 2011, n°10/01735).

L’article 2 de l’ordonnance du 25 mars dernier proroge, dans certains cas, le délai de rétractation en ce que la rétractation constitue bien un « acte » « prescrit par la loi » « à peine de forclusion ».

• Dans quels cas le délai est-il prorogé ?

Lorsqu’il « aurait dû être accompli » entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020.

En clair, et puisque le confinement a déjà plus de 15 jours, il s’agit donc des ruptures conventionnelles qui ont été signées depuis le mercredi 11 mars dernier inclus, puisque rappelons que selon l’Administration (circulaire n°2009 du 17 mars 2009), le délai de rétractation débute à compter du lendemain de la signature de la rupture conventionnelle dans le respect des articles 641 et 642 du Code de procédure civile et de l’article R.1231-1 du Code du travail.

• Comment est-il prorogé ?

L’ordonnance prévoit que cette rétractation sera réputée avoir été faite à temps si elle a été effectuée « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période (celle durant entre le jeudi 12 mars 2020 et un mois après la cessation de l’état d’urgence), le délai légalement imparti pour agir (donc ici 15 jours calendraires à compter du lendemain de la signature de la rupture conventionnelle, repoussé au premier jour ouvrable suivant si ces 15 jours expirent un samedi, un dimanche ou un jour férié chômé), dans la limite de 2 mois (mais ici notre délai légal est inférieur à 2 mois) ».

Exemple : une rupture conventionnelle est conclue le jeudi 26 mars 2020. En théorie, les parties avaient jusqu’au 10 avril 2020 pour se rétracter. Du fait de l’ordonnance de la veille et publiée au JO du même 26 mars, elles pourront se rétracter pendant tout l’état d’urgence (dont on vient d’apprendre qu’il était déjà prorogé jusqu’au 15 avril prochain) + 1 mois + 15 jours calendaires à minuit.

Exemple : une rupture conventionnelle a été conclue le 12 mars 2020. En théorie, les parties avaient jusqu’au vendredi 27 mars 2020 pour se rétracter. En application de l’ordonnance du 25 mars suivant, elles pourront se rétracter pendant tout l’état d’urgence + 1 mois + 15 jours calendaires à minuit.

 

4. Impact sur le délai d’homologation administrative

L’article L.1237-14 du Code du travail prévoit que la DIRECCTE dispose d’un délai d’instruction avant que l’homologation ne soit tacitement acquise de 15 jours ouvrables (les dimanches et jours fériés chômés par la DIRECCTE ne comptent pas). Ce délai court à compter du lendemain du jour ouvrable de réception de la demande d’homologation par la DIRECCTE et jusqu’au dernier jour ouvrable d’instruction à minuit.

En théorie on peut déposer physiquement le formulaire de rupture conventionnelle à la DIRECCTE. Mais cela contreviendrait aux mesures de confinement dans la mesure où depuis le 7 novembre 2017, la demande d’homologation peut également faire l’objet d’une télétransmission à la DIRECCTE via le site https://www.telerc.travail.gouv.fr

Ainsi les parties ne sont pas censées se rendre à la DIRECCTE munies d’une attestation individuelle de déplacement cochant la case déplacement «  indispensable à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail » ou pour les « déplacements professionnels ne pouvant être différés ».

Et le formulaire peut également être adressé à la DIRECCTE par LRAR.

L’article 7 de l’ordonnance du 25 mars dernier proroge, dans certains cas, ce délai d’homologation administrative en ce qu’il s’agit bien d’une « décision » et même d’un « accord », d’une « administration de l’Etat » (visé à article 6 de l’ordonnance) qui peut intervenir ou est acquis implicitement.

S’il n’a pas expiré avant le 12 mars 2020, ce délai sera suspendu à cette date et jusqu’à la fin de la période mentionnée ci-dessus, c’est-à-dire la fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois.

Exemple : les parties ont conclu une rupture conventionnelle à la Saint Valentin, vendredi 14 février 2020, puis l’ont adressée pour homologation à la DIRECCTE le 3 mars 2020, qui l’a reçue le jeudi 5 mars. Le délai d’homologation a commencé à courir le vendredi 6 mars 2020 et il a couru pendant 5 jours, jusqu’au jeudi 12 mars exclu, date à laquelle il a été suspendu. Il ne reprendra donc qu’à compter de la fin de l’état d’urgence + 1 mois, mais uniquement pour 10 jours ouvrables.

L’ordonnance précise que le point de départ du délai qui aurait dû commencer à courrir pendant cette période (entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence + 1 mois) est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.

Exemple : les parties qui ont conclu une rupture conventionnelle le 27 février 2020 et adressé leur demande d’homologation à la DIRECCTE le lundi 16 mars dernier, devront attendre la fin de l’état d’urgence + 1 mois + 15 jours ouvrables.

Comment articuler cette seconde prorogation avec celle du délai de rétractation ?

En principe les parties ne peuvent adresser la demande d’homologation avant l’expiration de leur délai de rétractation qui est d’ordre public, et donc le lendemain de l’expiration du délai de rétractation (Circulaire DGT n°2008-11, 22 juillet 2008 et Cass.soc. 14 janv. 2016, n°14-26.220).

Généralement c’est l’employeur qui adresse à la DIRECCTE : la Cour de cassation a jugé que s’il ne respectait ce délai de rétractation, même après une homologation tacite par la DIRECCTE, le salarié pouvait réclamer l’annulation de la rupture et obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass.soc. 6 déc. 2017, n°16-16.851).

Exemple : dans les exemples précédents de ruptures conventionnelles conclues le 12 mars ou le 26 mars derniers, les parties ne pourront pas envoyer leur demande d’homologation à la DIRECCTE avant le lendemain de la fin de l’état d’urgence + 1 mois + 15 jours calendaires pleins et devront attendre encore 15 jours ouvrables d’homologation.

5. Conséquences de ces prorogations sur la situation du salarié durant ces délais

C’est là où le « casse-tête chinois » reprend car bien souvent les parties ont prévu que le salarié ne travaillerait pas durant les délais de rétractation et d’homologation.

Parfois il a été convenu une liquidation totale ou partielle des congés payés durant cette période, ou encore un congé sans solde, ou encore une dispense d’activité rémunérée totalement par l’employeur, mais généralement jusqu’à une date déterminée qui est celle de la rupture du contrat de travail prévue au formulaire qui, dans tous nos exemples, a été prévue pendant la période de confinement.

Que fait-on passé cette date si l’on est toujours en période de confinement ou en tout cas que les délais n’ont nécessairement pas expiré, puisqu’ils expireront par hypothèse après ?

Une chose est sûre : le contrat de travail n’est pas rompu. Mais est-il suspendu ? Pas du fait de l’ordonnance du 25 mars dernier en tout cas, puisque celle-ci n’a pas d’incidence sur les délais contractuels.

Donc cela dépendra des dispositions de la convention de rupture :

• si les parties y ont stipulé qu’elles suspendaient l’exécution du contrat (congés de toutes natures ou dispense d’activité) « jusqu’à la date de rupture du contrat de travail», alors les dispositions initiales demeurent, ce qui va soit entraîner un surcoût non budgété pour l’employeur s’il a accordé une dispense d’activité rémunérée au salarié, soit impacter très négativement le salarié, qui risque d’exercer son droit de rétractation, s’il avait été prévu un congé sans solde ;

• idem si les parties y ont stipulé qu’elles suspendaient l’exécution du contrat « jusqu’au terme du délai d’homologation administrative» ;

• si en revanche les parties y ont stipulé qu’elles suspendaient l’exécution du contrat « jusqu’à la date de rupture du contrat telle que prévue à la case *** du formulaire et à condition qu’elle intervienne bien à cette date», alors le contrat est censé reprendre à cette date et donc le salarié est censé reprendre son poste de travail … ou pas s’il est mis au chômage total ou partiel par son employeur ou s’il est placé en arrêt de travail ou la prise de congés payés (qui peuvent d’ailleurs lui être imposés dans les limites et conditions temporaires et exceptionnelles issues de l’ordonnance du même jour …).

Les parties peuvent-elles se revoir (ou se reparler …) pour négocier d’autres modalités d’exécution ou de suspension du contrat de travail durant cette période ?

Réponse affirmative, mais la question se pose alors de la nécessité de conclure une nouvelle rupture conventionnelle, qui ferait courir un nouveau délai de rétractation (dans les conditions de prorogation précitée), ce qui retarderait encore plus la date de fin du contrat de travail.

Il est permis de penser que les parties peuvent conclure un accord sous seing privé, en marge du formulaire de rupture conventionnelle déjà conclu, qui aménagerait l’exécution ou la suspension du contrat durant cette période, sans que cela empêche la DIRECCTE d’homologuer et sans que cela invalide la rupture conventionnelle dès lors que les parties n’auront pas exercé leur droit de rétractation.

6. Conséquences sur le délai de contestation de la rupture conventionnelle devant le Conseil de Prud’hommes

L’article L1237-14 dernier alinéa du Code du travail prévoit que tout litige concernant la convention, l’homologation ou son refus doit être porté devant le Conseil des Prud’hommes et que ce recours juridictionnel est formé « à peine d’irrevabilité » avant l’expiration d’un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention.

Cependant, l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 aménage les délais prévus notamment pour une « action en justice » prévue « à peine d’irrecevabilité » en prévoyant que l’action sera « réputée avoir été faite à temps » si elle a été effectuée dans un délai « qui ne peut excéder », à compter de la fin de la période d’état d’urgence + 1 mois, « le délai légalement imparti pour agir » (ici 12 mois à compter de la date d’homologation) dans la limite de 2 mois ».

Il n’y a pas de nouveau délai qui court à compter de la levée de la mesure sanitaire d’urgence. On ne dispose pas du solde de son délai non écoulé avant le 12 mars comme pour une suspension. A partir du mois suivant la levée de la mesure sanitaire d’urgence, la partie qui le souhaite devra déposer sa requête devant le Conseil de Prud’hommes, dans son délai de 12 mois, limité à 2 mois maximum.

Exemple : les parties à une rupture conventionnelle avaient jusqu’au 10 mars 2020 pour saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester celle-ci. Elles sont toujours irrecevables à le faire car la période visée par l’ordonnance démarrait seulement au 12 mars 2020.

Exemple : les parties à une rupture conventionnelle avaient jusqu’au 15 mars 2020 pour saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester celle-ci. Leur délai d’action est prorogé jusqu’à la fin de l’état d’urgence +  1 mois + 2 mois.

Exemple : les parties à une rupture conventionnelle avaient jusqu’au 15 avril 2020 pour saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester celle-ci. Leur délai d’action est prorogé jusqu’au terme de l’état d’urgence + 1 mois + 2 mois.

Exemple : une rupture conventionnelle a été homologuée le 13 mars 2020. Les parties ont jusqu’au 15 mars 2021 pour saisir le Conseil de Prud’hommes.

Vanessa LEHMANN
Avocat associé