Rupture conventionnelle 2.0

Publié le 04 janvier 2022
Rupture conventionnelle 2.0

Décret 2021-1639 du 13 décembre 2021 portant obligation de recours au téléservice pour réaliser la demande d’homologation de la convention de rupture du contrat de travail (JO 15 décembre 2021)

… Et quelques arrêts récents de la Cour de cassation sur les ruptures conventionnelles

A l’heure où les ruptures « volontaires » de contrats de travail explosent, où l’on évoque outre-Manche la « Great Resignation » et le « Big Quit » (« la Grande Démission ») et où les ruptures conventionnelles en France ont augmenté de 2,9 % entre août et octobre 2021 (source DARES 26 nov. 2021), le Gouvernement modifie les règles de formalisme de ces-dernières (I).

De plus, bien que les dispositifs de ruptures conventionnelles, individuelles ou collectives, ont considérablement assaini les ruptures de contrats de travail, ils nourrisent leur propre contentieux, qui a donné lieu à des précisions notables en 2021 (II).

 

I. Le décret du 13 décembre 2021

Il crée un nouvel article D.1237-3-1 du Code du travail qui prévoit les modifications suivantes applicables aux demandes d’homologation présentées à l’Administration à compter du 1er avril 2022 :

La demande d'homologation de la convention de rupture devra obligatoirement être réalisée par téléservice, c’est-à-dire, à date, sur le site https://www.telerc.travail.gouv.fr/accueil ou portail TéléRC;

Par exception, la demande pourra être déposée à la DREETS, sur le formulaire CERFA habituel au format papier, lorsqu'une partie lui indiquera « ne pas être en mesure d'utiliser le téléservice ».

On en déduit que :

• Ce n’est pas la date de conclusion de la convention de rupture, mais celle du dépôt de la demande d’homologation à la DREETS, qui détermine cette obligation : en clair, à partir du mercredi 16 mars 2022, ce ne sera plus la peine de remplir les CERFA papier. Pour les conventions signées à compter de cette date, le délai de rétractation expirera le jeudi 31 mars suivant et elles devront être déposées à la DREETS via la plateforme numérique à compter du vendredi 1er avril 2022 ;

• Les demandes d’autorisation de rupture conventionnelle à l’Inspection du travail pour les salariés protégés ne sont pas concernées par cette mesure ;

• Si le portail TéléRC bloque ou tombe en panne, le formulaire CERFA pourra être rempli à la main par les parties ;

• Idem si l’employeur ne dispose pas d’un ordinateur et d’un accès à internet (car on voit mal comment on pourrait justifier le dépôt papier hors plateforme au seul motif que le seul salarié n’y aurait pas accès). Seuls quelques déserts numériques pourraient donc invoquer ce motif ;

• Si les parties se trompent, il est probable que l’Administration leur renvoie leur formulaire en leur demandant de le saisir en ligne, ce qui aura pour effet de décaler la procédure et la date de rupture du contrat de travail si les parties s’étaient calées strictement sur le délai légal d’homologation de 15 jours ouvrables.

• La question se posera alors de devoir ou non respecter à nouveau le délai de rétractation dans ce cas. Un dossier incomplet fait en effet obstacle à ce que les parties puissent se prévaloir de l'acquisition d'une homologation implicite et elles sont en principe informées que le dossier ne saurait être considéré comme recevable. La circulaire ministérielle (Circ. DGT n°2008-11, 22 juill. 2008) ne précise pas si les parties sont autorisées à régulariser leur demande d’homologation et à en renvoyer une nouvelle. A priori rien ne l’interdit, dès lors que le délai légal de 15 jours ouvrables est bien ménagé dans le formulaire dans le calcul de la date de rupture du contrat de travail envisagée (et dans celui du calcul de l’indemnité spécifique de rupture). Mais une confirmation du Ministère sur ce point serait la bienvenue…

En pratique, on rappelle que la plateforme permet d’enregistrer un projet de formulaire auquel chacune des parties peut accéder sur son propre ordinateur avec le numéro de dossier fourni lors de la première saisie en ligne et le code secret crée.

Les données restent accessibles pendant 15 jours. Elles ne sont en revanche plus modifiables dès que le formulaire est imprimé.

Une fois rempli en ligne, le document personnalisé et finalisé par les parties doit être téléchargé (au format pdf), imprimé, daté et signé de manière manuscrite par les parties, en 3 exemplaires originaux.

Chaque partie repart avec son exemplaire et il est recommandé de faire signer au salarié un récépissé de son exemplaire personnel sur un document séparé, daté et signé (voir la jurisprudence ci-après).

A compter du lendemain de la date d’expiration du délai de rétractation légal de 15 jours calendaires, le 3ème exemplaire papier est télétransmis à la DREETS dont les coordonnées sont communiquées sur la plateforme à la fin de la saisie.

Le portail permet de recevoir un accusé réception par courriel.

Ce site permet également de télécharger et d'imprimer au format pdf une attestation d'homologation à l'issue du délai d'instruction de la demande. Pour télécharger et imprimer l'attestation, il est nécessaire de se munir de son numéro de demande (numéro indiqué sur le formulaire ou par le service instructeur), du numéro SIRET de l'entreprise, du numéro de cotisant ou du nom du salarié.

Un tuto complet de la procédure figure à l’onglet « Visite Guidée » du site.

 

II. Quelques précisions récentes de la jurisprudence

Les ruptures conventionnelles ont la réputation, au demeurant fondée, de faciliter les ruptures amiables.

Certes, mais faciliter n’est pas forcément sécuriser comme l’illustrent plusieurs décisions de justice notables qui ont émaillé l’année 2021 :

• soc. 10 mars 2021, n°20-12.801: en cas de litige, c’est à l’employeur de prouver qu’un exemplaire de la convention de rupture (le CERFA) a bien été remis au salarié afin d’une part de garantir la liberté de son consentement par le bénéfice du délai de rétractation en connaissance de cause et, d’autre part, de lui permettre de procéder à la demande d’homologation administrative (voir aussi Cass.soc. 23 sept. 2020, n°18-25.770).

Dans cette affaire, l’employeur aurait conservé tous les exemplaires de la convention pour y ajouter la mention « lu et approuvé » qui y manquait. C’est pourquoi on recommande aux employeurs de faire dater et signer un récépissé de la convention au salarié (voir ci-dessus).

• soc. 4 nov. 2021, n°20-16.550: la rupture conventionnelle doit être annulée pour vice du consentement résultant d’une violence morale lorsqu’il est démontré qu’à la date de sa signature, l'employeur avait été informé par la salariée de faits précis et réitérés de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, n'avait mis en œuvre aucune mesure de nature à prévenir de nouveaux actes et à la protéger. Il est jugé que la salariée se trouvait ainsi dans une situation devenue insupportable et dont les effets pouvaient encore s'aggraver si elle se poursuivait, et qu’elle n'avait eu d'autre choix que d'accepter la rupture sans pouvoir donner un consentement libre et éclairé.

Cet arrêt invite à la plus grande prudence les employeurs qui s’apprêtent à conclure une rupture conventionnelle avec un salarié qui se plaint d’être victime d’un harcèlement (qu’il soit moral ou sexuel). En effet, la Cour tempère ici sa jurisprudence selon laquelle l'existence de faits de harcèlement (moral en l’espèce) n'affecte pas, en elle-même, la validité de la rupture conventionnelle (Cass. soc. 23 janvier 2019, n° 17-21.550) et selon laquelle il incombe au salarié de démontrer en quoi cette situation de harcèlement a vicié son consentement à la conclusion de la rupture conventionnelle (Cass. soc. 30 janvier 2013, n° 11-22.332 et Cass. soc. 29 janv. 2020 n° 18-24.296).

En clair, cela revient à exiger des nombreux employeurs qui reçoivent un courrier d’un salarié se plaignant, à tort ou à raison, d’un harcèlement au travail pour demander une rupture conventionnelle, de prouver dans un premier temps qu’ils ont d’abord apporté une réponse concrète au signalement de harcèlement pour permettre au contrat de travail de la victime présumée de se poursuivre, avant, ensuite, d’accéder éventuellement à sa demande de rupture conventionnelle et de conclure celle-ci, le tout sans céder à la pression et à l’insistance du salarié souvent pressé de partir et à la limite du chantage à la prise d’acte de la rupture du contrat.

• soc. 17 mars 2021, n°19-25.313: par deux arrêts du même jour, la Cour de cassation s’est prononcée sur le vice du consentement pouvant résulter de l’imminence ou de la concommittance d’une rupture conventionnelle avec un licenciement économique collectif.

Dans la première affaire, la Cour rappelle qu’il appartient au salarié qui se prévaut d’un vice de son consentement pour demander l’annulation de la rupture conventionnelle, de prouver celui-ci. L’employeur apportait la preuve que le salarié avait manifesté de longue date et de façon réitérée son intention de quitter l'entreprise et que, malgré l'information délivrée par l'employeur de l'existence d'un plan de sauvegarde de l'emploi en cours d'élaboration, il n'avait pas usé de son droit de rétractation.

A l’inverse, dans la seconde affaire, la Cour juge nulle la rupture conventionnelle en raison d'un vice du consentement lorsque l'employeur a dissimulé au salarié l'existence, à la date de conclusion de la convention de rupture, d'un plan de sauvegarde de l'emploi en cours de préparation prévoyant la suppression de son poste, et que cette dissimulation a été déterminante du consentement de celui-ci.

• Cour Administrative d’Appel de Versailles 20 octobre 2021, n°21VE02220: toujours à propos de la difficile articulation entre rupture conventionnelle et licenciement économique collectif, cette Cour d’appel a jugé que l’entreprise ne peut pas mettre en œuvre un accord de rupture conventionnelle collective sur un site dont la fermeture est déjà décidée.

• Tribunal Administratif de Montreuil 25 octobre 2021, n°2110664 et 2111493: encore à propos de cette articulation entre rupture conventionnelle et licenciement économique collectif, ce tribunal a admis qu’une entreprise pouvait mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi immédiatement après un accord collectif de rupture conventionnelle (dont on rappelle que, validé par l’Administration, il permet de prévoit des suppressions d’emplois en dehors de tout licenciement et sans justifications économiques).

• soc. 17 nov. 2021, n°20-13.851: la Cour de cassation confirme que l’on peut toujours conclure, sans avoir à passer par une rupture conventionnelle, une « convention tripartite de mutation concertée intra-groupe » qui prévoit, d’une part la rupture amiable du contrat de travail avec l’employeur initial et, d’autre part, la poursuite du contrat de travail (et non la réembauche) avec reprise d’ancienneté dans une seconde société appartenant au même groupe.

L’arrêt ne le dit pas, mais on s’interroge sur la manière dont, le moment venu, l’indemnité de rupture de ce salarié, quittant une société française pour une société suisse, sera calculée. On lui recommandera de veiller à la règle de calcul, en amont dans cette convention tripartite.

• soc. 5 mai 2021, n°19-24650: dès lors que les dispositions de l'accord collectif applicable aux salariés du groupe prévoient une indemnité conventionnelle de licenciement plus favorable que l'indemnité légale de licenciement, le salarié peut prétendre à cette indemnité conventionnelle plus favorable.

Mais l’arrêt ne dit pas quel montant retenir lorsque l’accord collectif prévoit deux taux distincts d’indemnité de licenciement selon le motif du licenciement (économique ou personnel). L’Administration avait quant à elle admis que l’on puisse retenir le taux le plus bas, dès lors qu’il était effectivement supérieur au taux légal.

 

On l’aura compris : les ruptures conventionnelles n’ont pas fini de nous occuper ! Contrairement à ce que beaucoup imaginent, même pour un acte aussi simple en apparence, ils auront tout intérêt à se faire conseiller par un Avocat ; d’autant qu’on le sait bien : si la séparation peut se dérouler « à l’amiable », elle trouve généralement son origine dans une mésentente qui peut vite virer en litige.

Vanessa LEHMANN
Avocat associé