Conditions de détention indignes : enfin un recours spécial… mais très encadré !

Publié le 15 novembre 2021
Conditions de détention indignes

Faisant suite aux condamnations de la France par la CEDH et à la censure par le Conseil Constitutionnel de notre droit, il a fallu attendre une loi du 8 avril 2021 pour inscrire dans notre code de procédure pénale le droit au respect de la dignité en détention.

Le décret du 15 septembre 2021 vient enfin de créer un recours devant le juge garantissant le droit des personnes prévenues ou condamnées à être détenues dans des conditions respectant leur dignité.

Cette procédure applicable à compter du 1er octobre 2021, permet au juge de demander à l’administration pénitentiaire de vérifier la situation d’un détenu ayant apporté un commencement de preuve avec des allégations « circonstanciées, personnelles et actuelles » et de présenter ses observations.

S’il juge la requête fondée, le magistrat fera alors connaître à l’administration les conditions de détention qu’il estime indignes, et lui demandera d’y mettre fin en moins d’un mois, y compris au moyen d’un transfert du détenu.

Si rien n’est fait, le juge pourra alors ordonner le transfèrement de la personne, ou une mise en liberté, s’il s’agit d’un prévenu, ou un aménagement.

Les points essentiels :
Quel juge saisir ?
• le juge des libertés et de la détention pour une personne placée en détention provisoire ou sous écrou extraditionnel : mais la requête devra être enregistrée auprès du juge d’instruction ou de la juridiction compétente en fonction du stade de la procédure).
• le juge de l'application des peines pour une personne condamnée.
• les juridictions spécialisées pour mineurs.
Comment doit être présenté le recours ?
il doit être présenté dans un écrit et doit comporter des mentions obligatoires :
• il doit contenir un « exposé circonstancié des conditions de détention personnelles et actuelles que son auteur estime contraires à la dignité de la personne » et préciser si le requérant demande à être entendu par le juge, en présence le cas échéant de son avocat.
• indiquer si le requérant a saisi la juridiction administrative d'une demande relative à ses conditions de détention.
• être signé par le requérant ou par son avocat.

Un des points essentiels de ce nouveau recours est la rapidité recherchée, et les sanctions encourues en cas d’absence de réponse dans les délais fixés.
Les délais :

1er temps : Le juge doit statuer sur la recevabilité de la requête dans un délai de dix jours à compter de sa réception par une ordonnance motivée.

Deux hypothèses :

• il juge la requête irrecevable : l'ordonnance est notifiée sans délai au requérant et aux parties.

• il juge la requête recevable :
- Il communique sans délai l’ordonnance au chef de l’établissement pénitentiaire et lui demande de lui transmettre dans un délai « d’au moins trois jours ouvrables et d’au plus dix jours, ses observations écrites et toute pièce permettant d'apprécier les conditions de détention du requérant ».
- Une copie des observations est adressée à l’avocat du requérant et à ce dernier invité à produire sans délai ses éventuelles observations.

Pouvoirs importants : pour vérifier si les conditions de détention portent ou non atteinte à la dignité du requérant le juge peut :
• se déplacer sur les lieux de détention,
• ordonner une expertise,
• requérir d'un huissier de justice de procéder à toute constatation utile, à des photographies, des prises de vue et de son au sein de l'établissement pénitentiaire,
• procéder à l'audition, de codétenus du requérant, de personnels pénitentiaires ou du chef de l'établissement pénitentiaire,
• procéder à l'audition du requérant, même si celui-ci n'a pas demandé à être entendu par le juge, en présence s'il y a lieu de son avocat,
• consulter tout rapport décrivant les conditions de détention mises en cause et issu de la visite d’un organisme national ou international indépendant.

2ème temps : Un second délai de 10 jours à compter de la décision de recevabilité pour statuer sur le bien-fondé de la requête et demander à l’administration d’y mettre fin :

Le juge doit se prononcer « dans un délai de dix jours à compter de la date à laquelle a été rendue l'ordonnance déclarant la requête recevable » par ordonnance motivée sur le bien-fondé de la requête et des différentes observations.

Deux possibilités :

• il juge la requête infondée

• il juge la requête fondée : « l'ordonnance mentionne les conditions de détention qu'il considère comme contraires à la dignité de la personne humaine, et fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre à l'administration pénitentiaire d'y mettre fin par tout moyen ».

Ainsi, l’administration pénitentiaire doit prendre toute mesure lui paraissant appropriée pour mettre fin aux conditions de détention en cause.
Elle peut « proposer à la personne détenue un transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire », tout en veillant à ce que cela ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale.
Si la personne accepte le transfèrement, « il y est procédé dans les meilleurs délais ».
L’administration doit alors adresser un rapport d'information au juge sur les mesures prises ou proposées au détenu. Copie faite au requérant ou son avocat.
À sa réception, le juge peut procéder aux vérifications permettant de s'assurer qu'il a été mis fin aux conditions de détention contraires à la dignité du requérant.

3ème temps : Décision intervenant à l’issue du délai imparti à l’administration de mettre fin aux conditions de détention indignes :

Dix jours au plus tard après l’expiration du délai d’un mois, le juge doit prendre une décision :

• soit, il considère qu’il a été mis fin aux conditions de détention contraires à la dignité du requérant : il constate alors qu’il n’y a plus lieu à statuer sur le fond ;

• soit, il considère qu’il n’y a pas été mis fin et décide alors d’ordonner le transfèrement de la personne, sa mise en liberté immédiate si la personne est en détention provisoire ou d’une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte si la personne est définitivement condamnée.

Le juge peut également refuser, par ordonnance motivée, de prendre l’une de ces décisions si la personne s'est opposée à un transfèrement qui lui a été proposé à moins qu’il ne cause une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.

Les différentes décisions « peuvent, dans un délai de dix jours à compter de leur notification, faire l'objet d'un appel devant, selon les cas, le président de la chambre de l'instruction ou le président de la chambre de l'application des peines ».
Que faire en cas d’absence de réponse ou non-respect des délais ?
Si le juge n’a pas statué dans les délais, le détenu ou son avocat, peuvent directement saisir le président de la chambre de l'instruction ou le président de la chambre de l'application des peines.
Au regard de la gravité des enjeux, n’hésitez à nous consulter le plus tôt possible pour vous conseiller et vous assister dans le cadre de ce nouveau recours.