Attentat de Villejuif : un dossier unique en son genre et annonciateur des futurs attentats de l’État Islamique

Publié le 16 novembre 2021
Attentat de Villejuif

Créateur : BENOIT PEYRUCQ | Crédits : AFP

L’attentat projeté par Sid Ahmed GHLAM et piloté par l’État Islamique visait au moins une Église de Villejuif, et plus vraisemblablement deux Églises de cette commune : celles de Sainte Thérèse et Saint Cyr-Sainte Juliette. L’arsenal retrouvé dans son véhicule permet d’imaginer le massacre qui aurait eu lieu le 19 avril 2015 en ce dimanche matin de cérémonies religieuses, si Sid Ahmed GHLAM ne s’était pas blessé accidentellement après l’assassinat d’Aurélie CHATELAIN qui se trouvait au volant d’un véhicule qu’il entendait dérober.

Cette jeune mère de famille est la première et unique victime de Sid Ahmed GHLAM.

Le procès en appel s’est tenu du 27 septembre au 28 octobre dernier. Me Gérard CHEMLA y soutenait les intérêts de la FENVAC.

 

Le projet terroriste de Sid Ahmed GHLAM : l’archétype de l’attentat projeté par l’État Islamique

L'attentat de Villejuif est, à bien des égards, l’archétype de l’attentat projeté par l’État Islamique : sélection d’un candidat pourvu de documents d’identité européens, courts séjours de formation en zone irako-syrienne, commanditaires issus de la cellule des opérations extérieures de l’État Islamique, phase préparatoire téléguidée depuis la Syrie, réseau logistique en région parisienne actionné indépendamment du candidat à l’attentat...

C’est un attentat projeté depuis la Syrie, par opposition à ceux qui sont “simplement” inspirés, c’est à dire commis par des sympathisants ayant répondu aux appels du Califat à commettre des attentats, sans relation directe avec l’État Islamique.

Une affaire terroriste unique en son genre

Fait rare en la matière, le terroriste principal a été interpellé avant le massacre projeté, et a ainsi pu être jugé (contrairement aux auteurs des attentats de janvier 2015 Charlie Hebdo et HyperCacher, à la plupart des auteurs des attentats du 13 Novembre ou à l’attentat de Nice du 14 juillet 2016).

L’enquête a également permis de confondre les membres du réseau logistique mobilisé en région parisienne et d'identifier les commanditaires sur zone (présumés morts).

L’arsenal retrouvé, particulièrement lourd et diversifié (kalachnikovs, armes de poing, très nombreux chargeurs, couteaux, gilets pare-balles mais aussi gilets tactiques, ceinturons pour armes, brassards siglés police, radios…), participe au caractère hors normes de cette affaire.

Autre élément parfaitement inédit : la phase préparatoire de cet attentat a pu être retracée par les enquêteurs au travers des notes manuscrites de Sid-Ahmed GHLAM retrouvées dans son véhicule, et grâce aux très nombreux échanges électroniques qu’il a eus avec ses commanditaires et qui ont pu être décryptés.

Tout ceci fait de l’affaire GHLAM un dossier tout à fait singulier.

Une affaire annonciatrice des futures attaques terroristes qui viseront par la suite la France

Il est édifiant de constater que Sid-Ahmed GHLAM est le triste précurseur de nombreuses attaques terroristes : cette affaire recèle en effet en son sein presque toutes les composantes des attentats qui viseront la France par la suite.

Les cibles

Si l’attentat finalement tenté avait pour cible des églises, il a dans un premier temps été question d’un attentat dans une gare : la gare RER de Villepinte, ville dont est originaire le principal commanditaire Abdelnasser BENYOUCEF, était visée. Sid Ahmed GLAM y avait d’ailleurs effectué des repérages complets au cours du mois de février 2015 ; il avait pris le soin de filmer et commenter le fonctionnement de la gare, images projetées à l’audience.

Il a finalement décidé de s’en prendre à des églises, sans toutefois abandonner le projet de frapper un train lors d’une seconde opération qui aurait été consécutive aux massacres de paroissiens, conformément à sa volonté de « tuer un max ».

Auprès de ses commanditaires, il évoquera ainsi le projet de frapper le train Paris/Saint-Dizier, qu’il connaît bien pour l’avoir fréquenté. Ce plan mortifère n’est évidemment pas sans évoquer l’attaque terroriste du Thalys déjouée par des passagers à peine quelques mois après l’arrestation de Sid Ahmed GHLAM. On se remémorera en effet que le 21 août 2015, Ayoub EL KHAZZANI, un ressortissant marocain ayant effectué un court séjour en Syrie en mai 2015, armé d’un fusil d’assaut de type kalachnikov et de plusieurs chargeurs, d’une arme de poing et d’un cutter, avait tenté d’ouvrir le feu à bord d'un train Thalys reliant Amsterdam à Paris. Le coordinateur et donneur d’ordre était Abdelhamid ABAAOUD, qui est également l’un des responsables des opérations de Sid Ahmed GHLAM.

On peut aussi établir un lien avec l’attentat de la station du métro bruxellois Maelbeek commis le 22 mars 2016, par la cellule terroriste également responsable des attentats du 13 novembre 2015.

La résonnance est plus directe encore avec les attentats qui frapperont l’Église de Saint-Etienne-du-Rouvray en 2016, puis la Basilique Notre-Dame de Nice en 2020.
Le premier a été perpétré par deux terroristes français qui avaient, comme Sid Ahmed GHLAM, prêté allégeance à Abu Bakr AL BAGHDADI. Tous deux avaient tenté de rallier la Syrie depuis Istanbul.
Cet attentat, revendiqué par l’État Islamique aurait été piloté depuis la Syrie par un recruteur de l'État Islamique présumé mort en Syrie en 2017 : Rachid KASSIM.
Au cours de la prise d’otages qui s’est déroulée lors de l’office matinal, le père Jacques HAMEL a été égorgé et un paroissien a été très grièvement poignardé à plusieurs reprises.
Les assaillants ont tenté de filmer et diffuser leurs crimes.
Sid Ahmed GHLAM avait lui aussi envisagé de capter et diffuser ses crimes ; plus tard, le 16 octobre 2020, l’assassin de l’enseignant Samuel PATY parviendra à diffuser sur son compte twitter une photographie de la tête décapitée de sa victime.

Un autre attentat a frappé une Eglise le 29 octobre 2020 : un terroriste islamiste a attaqué au couteau plusieurs fidèles au sein de la Basilique Notre-Dame de Nice, faisant trois morts.Le terroriste, porteur de trois couteaux au moment des faits, y avait effectué des repérages la veille. Un sac de vêtements afin que le terroriste puisse changer de silhouette a été retrouvé sur place par les enquêteurs ce qui rappelle très exactement les conseils tactiques suivis par Sid Ahmed GHLAM concernant son allure, puisque dans son véhicule ont été retrouvées des notes manuscrites prescrivant de changer de vêtements et de façon de marcher, ainsi que divers vêtements de rechange.

Sombre synchronisation, cet attentat s’est déroulé au dernier jour des débats du procès 1ère instance de Sid Ahmed GHLAM...


Les combattants impliqués

L’attentat de Villejuif a été projeté par un organe particulier de l’État Islamique, que l’on retrouvera dans tous les attentats commis ou projetés ultérieurement : la Cellule des Opérations Extérieures de l’État Islamique (COPEX), imaginée et dirigée à cette époque par Abdelnasser BENYOUCEF et son bras droit Samir NOUAD.

Sid Ahmed GHLAM parle d’un troisième commanditaire nommé Abu OMAR, qu’il aurait rencontré en Syrie et qui l’aurait en particulier formé aux techniques de communication et cryptage.
S’il s’est toujours refusé à le désigner comme étant Abdelhamid ABAAOUD, cette identité ne fait que peu de doute. Abdelhamid ABAAOUD apparait ainsi comme un coordinateur opérationnel dans de nombreux attentats commis ou projetés entre la fin de l’année 2014 et l’année 2015, dans l’ordre chronologique : Verviers en Belgique, Villejuif, Réda HAME, Thalys, 13 novembre...

On retrouve les frères CLAIN, voix françaises de la revendication des attentats du 13 novembre 2015 par l’État Islamique ; ils apparaissent en filigrane de l’attentat de Villejuif, puisque que c’est par l’intermédiaire de deux de leurs proches, Macrème ABROUGUI (surnommé Vega) et Thomas MAYET, avec lesquels Fabien CLAIN est parti en Syrie en février 2015, que Sid Ahmed GHLAM devait récupérer un véhicule conspiratif dans un garage automobile situé en banlieue parisienne.

Les points communs avec les attentats du 13 novembre

Un certain nombre d’éléments caractéristiques des attentats du 13 novembre 2015 préexistaient dès le projet d’attentat de Sid Ahmed GHLAM.
Il en va ainsi du principe d’attaques ciblées et simultanées.

Il était en effet déjà question dans la préparation de l’attentat de Villejuif de plusieurs « frappes » commises « par des frères en même temps » que Sid Ahmed GHLAM, qui a finalement agi seul.
Ce dernier a fait bon nombre de recherches relatives à la fabrication d’explosifs ce qui rappelle évidemment les ceintures explosives dont étaient munis les commandos terroristes du 13 novembre.

En outre, dans un message à l’attention de ses commanditaires, Sid Ahmed GHLAM propose l’élaboration de vidéos de propagande consistant à filmer les terroristes sur zone avant leur départ pour commettre un attentat en Europe, puis à leur arrivée en Europe, et juste avant de commettre leur forfait : "Ceux qui apparaitront dans cette vidéo transmettront un message à l’Occident disant qu’ils arrivent et ce pour les terroriser (en incluant même les frères qui ne viendront pas, car la guerre est une ruse) et il serait souhaitable qu’ils apparaissent en effectuant des tirs, (…) et des entraînements aux assassinats (…). Filmer les frères qui sont arrivés en Europe en train de dire un mot avant les opérations (au sein de leurs peuples pour les frères pour ceux qui ne sont pas connus des autorités)”

C’est très exactement ce procédé qui a été appliqué concernant les commandos terroristes du 13 novembre 2015. Ils ont été filmés sur le territoire syrien alors qu’ils procédaient à des entrainements aux tirs ainsi qu’à l’exécution de prisonniers et otages, tout en menaçant la France et son président en indiquant qu’ils “arrivaient”. C’est l’illustration parfaite de la politique de la terreur. Ces images ultra violentes ont ensuite été utilisées dans les vidéos de revendication des attentats du 13 novembre et la propagande ultérieure de l’État Islamique...

Par ailleurs, Sid Ahmed GHLAM a avoué pour la première fois lors de son procès en appel qu’il avait rédigé un testament, qu’il aurait transmis à ses commanditaires.
Il n’a pas été retrouvé, ce qui est logique puisqu’il n’est pas mort. La vidéo de revendication qu’il a très certainement tournée n’a pas été diffusée car l’attentat n’est pas allé à son terme.
Les vidéos et testaments ne sont rendus publics par l’Etat Islamique qu’après la mort du « martyr ».

Les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 ont également rédigé des testaments, et plusieurs ont été publiés par l’État Islamique après les attentats.

Le numéro 8 du magazine de propagande francophone de l’État Islamique Dar Al Islam paru au mois de février 2016 intitulé « Attentats : sur la voie prophétique », contient par exemple les testaments d’Abdelhamid ABAAOUD, Ismaël Omar MOSTEFAI et Foued Mohamed AGGAD, tous trois impliqués dans les attentats du 13 novembre.

Le procès en appel de Sid Ahmed GHLAM s'est achevé le 28 octobre dernier avec sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une interdiction définitive du territoire français.  

L'analyse de l’affaire de Villejuif permet, à l’heure du procès historique des attentats du 13 novembre, de mettre en lumière les mécanismes des attentats projetés par l’État Islamique sur le sol français.

Laura Costes, Avocat
Alicia Renard, Juriste
Pôle attentats, Cabinet ACG