Audience devant le juge des enfants

Publié le 30 juillet 2021
Juge des enfants

Palais de Justice.
Salle des pas perdus.
Couloir de la salle d’audience du juge des enfants.
Les bancs disposés le long des murs sont occupés. Un parent, un ou des enfants. Plus loin, un père, une mère, seuls.
Les représentants des services sociaux et les avocats circulent.
L’attente est silencieuse, tendue, inquiète.

Je rejoins le père, que j’assiste et ses deux enfants, son fils et le fils de son ex-compagne. Les deux lui ont été confiés par décision de justice. Nous revenons un an après pour faire le point auprès du juge de la mesure d’assistance éducative qui a été ordonnée.

Le père est à bout. La mesure n’a pas permis à la mère d’analyser pourquoi ses enfants ne lui sont pas confiés. Elle les a vus à son domicile, un jour par mois, en présence d’une TISF (technicienne d’intervention sociale et familiale). Ces visites n’ont pas permis à la situation d’évoluer. Les enfants ne se sentent pas en sécurité avec leur maman. La mère ne parvient pas à créer une relation avec ses enfants.

Les services sociaux préconisent le renouvellement de la mesure d’assistance éducative. Les deux parents sont d’accord, conscients qu’il en va de l’intérêt des deux enfants.
Le juge appelle d’abord les deux enfants. Ils partent ensemble dans son bureau. C’est plus facile à deux. Mais que c’est angoissant de rencontrer un juge pour parler de sa vie, de ses parents, de ce qu’on souhaite. On voudrait ne pas être là, laisser les adultes se débrouiller et vivre comme les autres enfants, tranquillement, dans sa famille.

Les enfants ressortent. Ils ne sont pas encore soulagés. Ils savent qu’il faut encore attendre que le juge rencontre les parents.
La mère est seule, sans avocat, je m’assois à côté d’elle. Elle est à ma droite, le père à ma gauche, les représentants des services sociaux ensuite, nous sommes face au juge et à la greffière.
Chacun s’exprime à son tour.

Deux questions sont au coeur des préoccupations : l’adoption par le père du fils de sa compagne et son inscription dans une école spécialisée. Pour cela il faut l’accord de la mère et la copie de l’acte de naissance de l’enfant. C’est à la maman de le fournir. Elle ne l’a pas fait jusqu’à l’audience.

L’adoption est demandée par l’enfant, depuis plusieurs années. La mère le sait. Elle ne peut s’y résoudre. Lorsque le sujet est abordé, ses yeux s’embrument. Elle a peur de perdre cet enfant. Pourtant, son fils va mal, il décline, teste par ses provocations de plus en plus fréquentes les adultes qui l’entourent, se rend insupportable à son entourage familial et scolaire, fait des bêtises comme il dit « sans pouvoir s’en empêcher ». Il ne comprend pas pourquoi sa mère refuse que celui qui l‘élève depuis toujours devienne son père, comme pour son petit frère.

Je sens la tension de la maman, son trouble, ses questions silencieuses. Je lui parle, propose qu’elle vienne l’après-midi à mon cabinet pour déposer les actes de naissance, je lui donne mon adresse. Il est convenu qu’elle passe à 14h30. Un acte de naissance si elle est d’accord pour l’inscription de son fils dans l’établissement spécialisé qui lui conviendrait pour poursuivre sa scolarité, deux actes de naissance si elle est aussi d’accord pour l’adoption.

Le père, comme les services sociaux, n’y croient pas. Elle ne viendra pas. Le père est tellement découragé, ses espoirs ont été tant de fois déçus.
Elle n’est pas venue en effet.

A 17h, le père vient avec ses enfants à mon cabinet pour payer mes honoraires. Nous sommes tous les quatre à l’accueil.
La sonnette retentit, la porte s’ouvre.
La mère.
Tout le monde est interdit. Pas un mot.

Je la fais passer dans un bureau. Elle me tend une enveloppe qui contient un acte de naissance. Elle me confirme son accord pour le changement d’école de son enfant. Elle n’est pas prête pour l’adoption mais promet d’aller consulter un avocat pour comprendre ce que cela signifierait pour elle.
Nous revenons à l’accueil. Elle tend l’enveloppe au père qui lui dit de la donner à son fils, c’est pour lui. Elle hésite. L’enfant est immobile le long de la fenêtre. Il attend.
Il reçoit enfin ce fameux acte de naissance.

La tension est retombée, les sourires se devinent sous les masques, et des embrassades sont même échangées avant que la mère reparte.
Miracle de la parole prononcée en audience, de la patience des intervenants qui accompagnent cette famille depuis plusieurs années, du respect des fragilités.
La route reste incertaine, elle sera encore longue et difficile pour conduire ces enfants à l’âge adulte. Ils se savent cependant accompagnés par un père attentif et persévérant et par une mère qui tâtonne mais qui les aime.

Isabelle DOMONT-JOURDAIN, avocate à Troyes pour la famille
Isabelle DOMONT-JOURDAIN
Avocat associé