Portrait : "Avocat en quête d'identité", Gérard Chemla tombe le masque

Publié le 27 avril 2016

Article paru dans l'Union Dimanche 24 avril 2016 :

Derrière la réussite et l'assurance de celui qui défend nombre de victimes de catastrophes de la vie ou de prédateurs, l'avocat rémois Gérard Chemla masque bien des aspérités.

« En fait, je suis quelqu'un qui a faim. Je dévore... »
Au bout d'un moment, Gérard Chemla revient sur notre première interrogation : qui est-il ? L'avocat rémois peine à se découvrir. Percé sa cuirasse revient à trouver un fil conducteur aux anecdotes entourant les affaires sur lesquelles sa douce voix s'est portée : les disparus de Mourmelon ou Fourniret hier, toutes les grandes catastrophes, du tsunami en Asie aux attentats de novembre à Paris, en passant par les déraillements de Brétigny et celui du TGV en Alsace, aujourd’hui… Des dossiers qui permettent à Gérard Chemla de figurer dans le cercle des grands pénalistes.

Le Graal d'une vocation ?
Rien ne le prédestinait à enfiler la robe noire. Il s'est retrouvé à faire du droit « un peu parce que je n'ai pas pu faire médecine avec mon bac D ». Avant de se reprendre. « En fait c'était une vocation cachée. Je l'avais noté dans un choix d'orientation en sixième ou cinquième. »

Une âme de justicier, alors ?
Non, il préfère mettre en avant l'humain. Chaque semaine, Gérard Chemla reçoit des victimes des attentats parisiens et des accidents de la SNCF. "Ces gens vous racontent à peu près la même chose mais l'intensité émotionnelle vous fait vous projeter. On revit avec eux des scènes d'une intensité terrible dont je mets beaucoup de temps à sortir."
Au centre de son bureau, celui qui ressemble à une table carrée de ferme revisitée remplit presque tous l’espace. "Aux clients qui entrent ici, j'essaie de renvoyer des choses. Je ne suis pas psychanalyste mais j'aime bien parler à l'intime." "L'accompagnement et le partage des soucis des clients, qui voient que cela l'affecte, fait se diriger vers nous les victimes de catastrophes", souligne Michel Auguet, son associé depuis le début.

 

UNE REVANCHE À PRENDRE

Le jeune Me Chemla ne faisait alors que de la défense pure (celle des auteurs de fait). "J'avais aussi envie de défendre des choses qui relevaient de mon intime. Pas une vengeance mais une revanche à prendre." Cette rancune date de 1979. À sa sortie de la fac de droit, bien qu'en tête de promo, on ne veut pas de lui à Reims. "Je ne suis pas le fils de quelqu'un, d'un magistrat, d'un patron ou d'un avocat…"

S'il finit par trouver une place à Châlons, "c'est parce qu'un moins bien classé que moi l'a refusée… Mais j'ai faim." toujours. "J'ai commencé à gagner de quoi manger à ma huitième année d'exercice… "

La création de son cabinet en 1985 marque le début de l'Ascension. Lente jusqu'au sommet. "Moi, j'avais des rêves. Gérard est plus réaliste", relève Me Auguet.
Les ennuis de Chemla avec certains de ses confrères continuent : il ne sera jamais bâtonnier à Reims (même s'il l'a été à Châons). Trop de jalousie. "En raison de sa réussite, beaucoup ne l'aiment pas au point de lui barrer la route du bâtonnat", dévoile un confrère de la région. Pourtant c'est un exemple pour certains. "J'aime sa façon de concevoir le métier", lance Simon Miravete, autre pénaliste de Reims, "en disant que nous sommes des techniciens et en sachant s'entourer de gens extrêmement performants et talentueux qui valorisent l'ensemble du cabinet quand d'autres sont dans le "moi, je"." Et puis, beaucoup disaient "il va se casser la gueule". Soixante-dix personnes, dont une moitié d'avocats, œuvrent aujourd'hui sous la bannière ACG. "C'est comme une polyclinique, avec des équipes de pointes couvrant tous types de droits. Nous sommes fiers ensemble", s'enflamme Chemla.

 

"ROI DU MONDE"

Sa fierté, l'homme la tire aujourd'hui "d'avoir ouvert une voie : pratiquer la défense pénale en faisant du droit. À l'époque, ce n'était que des effets de manche, en jouant sur l'émotion". "Il a le don de savoir appuyer là où cela fait mal, c'est un aiguillon ", avance que Joël Vaillant, commandant la section de recherches de la gendarmerie de Reims à la fin des années 80. Faire mal.… Difficile de le croire tant Gérard Chemla exhale la douceur en dépit de son presque double mètre. "Il a la carrure d'un parachutiste assortie d'une voix et d'un regard encourageants de psychanalyste", résumait Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro, lors du procès Fourniret. Durant ce printemps 2008, "il a tenu un rôle important pour les parties civiles", se souvient Gilles Latapie qui présidait la cour d'Assises jugeant l'ogre ardennais. "Sa rigueur cartésienne et son approche psychologique lors de l'interrogatoire de Monique Olivier (l'épouse de Fourniret) ont permis de sortir des éléments qui n'étaient pas dans le dossier." "Ces basculements d'audience, c'est tout le bonheur", confesse Chemla. "Intérieurement, c'est une euphorie jusqu'à la jouissance. C'est waouh… Je suis comme un  enfant qui essaye de tout faire tourner autour de lui. Quand cela marche, vous êtes le roi du monde."

 

"VINCENT, UN DEUIL TOUJOURS OUVERT"

"Cela ne veut pas dire que je ne travaille pas avec des gens formidables autour de moi aujourd'hui, mais ce deuil est toujours ouvert. " Lorsque Gérard Chemla évoque Vincent Durtette, avocat du cabinet disparu dans un accident de la route à 38 ans en 2007, ses yeux s'embrument. "Depuis, je ne fais pas un dossier exceptionnel sans me dire, quelle plaisanterie cela aurait été de lui dire, tu as vu, on va faire cela ! Le procès Fourniret, c'est Vincent qui devait le faire. C'était ma transmission. Il avait vocation à prendre cette place en vue dans le cabinet. Et… Au plan humain, à part mes enfants et ma femme, Vincent a été la rencontre de ma vie, en 1993. Il s'est mis en place une complicité, une proximité que je souhaite à tout le monde de connaître. Il était mon prolongement. Il a été mon fils, c'est devenu mon frère et cela a toujours été mon ami. Sur ma carrière, sur ma vie, j'ai un deuil. Celui de Vincent."

 

PIED DE NEZ ET QUÊTE IMPOSSIBLE

Un règne de Chemla qui s'exerce très souvent sur la défense des victimes. Entre hasard et destinée.

Chanal et les disparus de Mourmelon ?
"À l'époque, je suis l'avocat des auteurs. Une victime vient me voir, j'hésite avant d'accepter. Puis Chanal se faire inculper et demande un avocat commis d'office. Le bâtonnier, c'est moi. Si je n'avais pas pris la partie civile, cela ne m'aurait pas posé de difficultés de le défendre".

Fourniret ?
"Il avoua un crime dans lequel j'étais l'avocat d'une victime depuis huit ans."

Ces deux affaires hors-norme trouvent leur prolongement dans les livres signés sur ces tueurs en série. "Je ne vois donc plus dans une autre position que celle de défendre leurs victimes. Mais aujourd'hui, je fais toujours de la défense de prévenus." Moins médiatiquement que Me Dupond-Moretti, Spécialiste des acquittements.

"Je crois à la destinée après coup. Avec Dupond-Moretti, à un moment, nous étions homologues. En 1990, j'ai choisi de prendre le virage du cabinet, alors que lui est resté pénaliste… Mon projet était pourtant de ne faire que du pénal." c'était déjà une incongruité de s'installer avocat pour le petit Gérard. Son destin "était de devenir fonctionnaire ou salarié, les honnêtes gens selon mes parents instituteurs, en opposition avec ceux beaucoup moins honnêtes qui gagnent trop d'argent". Sa réussite le dérangerait ? "Je ne suis pas fortunés. J'ai toujours plafonné mon revenu. J'ai mon appartement et ma voiture. Le reste, c'est le cabinet, cela n'a pas de valeur. Seuls ses hommes et ses femmes ont de la valeur."

Des valeurs qui n'empêche pas un brin de désinvolture. "Je deviens bâtonnier (à Châlons en 1993) et trouve cela marrant. À chaque fois que je fais quelque chose, j'ai un peu l'impression d'être un imposteur. Il y a un côté pied de nez." comme la Légion d'honneur. "Je l'ai prise comme une plaisanterie car c'en est une. C'est drôle car cela fait bisquer ceux qui ne l'ont pas." Toujours le souvenir des fins de non-recevoir des avocats rémois fin 1979…

L'entretien se termine. Hélas, comme un prévenu qui flanche soudainement durant l'interrogatoire, Gérard Chemla lâche : "J'ai fait des années de divan et je ne sais pas répondre à la question "qui je suis"".
Pourquoi la psychanalyse ? "Je souffrais, la vie est difficile, et je ne savais pas qui j'étais. Finalement, cela m'a permis, non pas de le savoir, mais de trouver du bonheur dans ma vie, de ne pas être simplement dans une quête impossible. Quand je vous dis que j'ai faim, c'est que j'ai toujours besoin d'autres choses. On oublie alors le plaisir. Que j'arrive aujourd'hui à en avoir, c'est ce que le divan m'a apporté."
Frédéric GOUIS
> Lire l'article original en ligne

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé