Dans l'enfer d'un huis clos familial

Publié le 23 septembre 2013

Article paru dans l'Union le 20 septembre 2013

| COUR D'ASSISES |
MARNE. Au premier jour du procès d'Alain Garinet, accusé d'avoir tué sa belle-mère de 84 ans à Heiltz-le-Maurupt, tous les témoignages sont allés en sa faveur, pas en celle de la victime.

«J'AIMERAIS pouvoir entendre quelque chose de bien sur cette femme », lâche Gilles Latapie, président de la cour d'assises de la Marne. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, comme s'il n'y croyait pas. Il parle pourtant d'une victime, Huguette Removille, morte d'une décharge de fusil de chasse en pleine tête. Elle avait 84 ans, était impotente. C'était le mercredi 6 avril 2011, à Heiltz-le-Maurupt, dans la grande maison « familiale ». La cartouche, de type Breneck, qui a causé sa mort, tirée tout au plus à un mètre selon un expert, était réservée au gros gibier. Les dégâts qu'elle a causé furent tels que le meurtrier présumé n'a pas eu besoin de presser la détente une seconde fois.

Au moment de cette déclaration, aucun des témoins et des parties civiles qui viennent de se succéder à la barre n'a vanté les mérites de la vieille dame. Que ce soit Francine la voisine, le maire de la commune Michel Bailly, une visiteuse de malades. Le reste des auditions se déroule selon le même registre. Au point que c'est la victime qui fait figure d'accusée. Une femme « acariâtre, méchante, manipulatrice, qui s'en prenait toujours à quelqu'un ».

« Elle contrôlait tout »

En revanche, son gendre Alain Garinet, 61 ans, le meurtrier présumé qui comparaît sous le régime du bracelet électronique après avoir passé un an en cellule, collectionne les louanges. Presque immobile sur sa chaise, il n'enregistre que des soutiens. « Quelqu'un de très gentil, travailleur, serviable, sérieux, réservé, qui ne répondait jamais aux insultes qu'adressait sans cesse sa belle-mère, à lui et aux autres ».

Les autres, ce sont les deux enfants de la défunte, Annie Garinet 56 ans (épouse d'Alain) et son frère Daniel Removille 61 ans, ainsi que la fille d'Annie et Alain, Adeline 21 ans. Ces trois personnes qui vivaient dans la maison commune, sont parties civiles, et fait rare dans une cour d'assises, soutiennent l'accusé.

« À 58 ans, je n'avais pas le droit à une carte bancaire, mes comptes étaient épluchés tous les mois au centime près. Si je ne suis pas marié aujourd'hui c'est parce que ma mère traitait toutes mes copines de traînées. Elle leur passait des coups de fil, s'en plaignait aux gendarmes. Même quand il m'arrivait de sortir chez des amis, elle leurs téléphonait jusqu'à minuit pour savoir si j'étais là », raconte Daniel. Après l'arrestation d'Alain Garinet, il lui a adressé un étonnant message d'amitié dans lequel il dit, entre autres, que son geste lui ouvre une nouvelle vie. Son avocat, Me Antoine Flasaquier, pour illustrer la situation que subissait Daniel, révèle qu'il serait allé jusqu'à prononcer, en substance, cette phrase : « Si ma vie doit se terminer de façon proche (ndr : il pensait à une maladie) je tuerais ma mère, et je me tuerais après, pour libérer les autres ».

Tout au long des débats, on découvre comment la victime contrôlait tout, surveillait tout depuis sa chambre, de la pilule contraceptive de sa petite-fille aux communications téléphoniques, l'unique appareil se trouvant sur sa table de nuit. Comment elle s'acharnait verbalement sur son gendre dont elle ne voulait pas au début, qui encaissait tout sans rien dire, y compris les phrases les plus cruelles lorsqu'il a fait un infarctus en 1995 puis développé une leucémie en 2008 et qu'elle espérait « qu'il crève avant elle ».

Comment ses enfants vivaient sous son emprise, redoutaient ses chantages et ses excès. Comment Alain Garinet, défendu par Me Sébastien Busy, a tenté de résister et est allé jusqu'à couper les ponts avec sa famille - de son plein gré dit-il -, au point que ses propres parents n'ont jamais vu leur petite-fille. Comment depuis des années, Annie dispensait tous les soins dont sa mère avait besoin après s'être cassé le col du fémur puis un genou, alors qu'elle ne voulait pas se faire hospitaliser ni être placée. Plusieurs fois, le président s'étonne de la passivité des uns et des autres, de leur soumission pendant des dizaines d'années. En réalité, Huguette Removille n'a pas toujours été ainsi, même si tout le monde lui reconnaît un autoritarisme historique. Elle a perdu son mari très jeune. Il a été foudroyé. « Son mérite a été d'avoir élevé seule ses enfants. Elle les a protégés, surprotégés », analyse un témoin.

Plusieurs événements l'auraient fait changer : l'arrivée de son gendre, ses ennuis de santé à elle et à lui, puis, en dernière limite, le souci d'indépendance de sa petite-fille.

Il se lève et tire 1,12 minute après

Peu avant le drame, Adeline a quitté son petit ami que la famille avait accepté, pour un autre compagnon plus âgé avec qui elle vient d'ailleurs d'avoir un enfant. Adeline est donc partie de la maison le samedi 2 avril 2011. Ses parents, qui n'appréciaient pas non plus cette liaison, sont rentrés de leur voyage le dimanche. Le lendemain, sa mère tente de se suicider, à tout le moins, de lancer un signe à sa fille pour qu'elle revienne. Elle est hospitalisée à Vitry-le-François.

Le mercredi 6 avril, Alain Garinet part rechercher son épouse. En tout début d'après-midi, alors qu'il a bu l'équivalent « de deux ou trois verres de ratafia » selon le président, ne supportant plus les dernières insultes de sa belle-mère, il monte à l'étage et s'empare d'un fusil, redescend à la buanderie prendre les deux premières cartouches qu'il trouve (c'est un chasseur), et se dirige vers la chambre d'Huguette. Les enquêteurs ont établi qu'il s'est passé 1,12 minute entre le moment où il se lève et celui où il tire. Pour l'un des experts, Alain Garinet a accumulé pendant des années les frustrations sans communiquer comme il aurait dû le faire, a tout absorbé comme une éponge, jusqu'à la saturation. « C'est le syndrome de la cocotte-minute. Si la soupape ne fonctionne pas, elle explose ». Le verdict sera connu aujourd'hui.

Dans la même thématique

L'évolution législative des avantages aux professionnels de santé : la nouvelle loi anti-cadeaux

Publié le 28 décembre 2023 - Thème(s) : Thème : Droit pénal, Thème : Droit des professionnels de la santé

Depuis la première loi régissant les avantages octroyés aux professionnels de santé en 1993, le cadre législatif a connu des ajustements significatifs.

Quelles réponses face au harcèlement scolaire ?

Publié le 28 novembre 2023 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Droit pénal
Le harcèlement scolaire est aujourd’hui devenu un problème sociétal profondément enraciné dans la société. Focus sur les solutions politiques, pénales et disciplinaires à disposition des victimes et de leurs parents.

Quand l’expertise pénale devient contradictoire….

Publié le 05 décembre 2022 - Thème(s) : Thème : Droit pénal

Le principe est que l’expertise pénale n’est pas contradictoire contrairement à l’expertise civile qui permet à la personne « mise en cause » de participer aux réunions d’expertise assistée de ses conseils.

Les dix commandements de la garde à vue

Publié le 30 août 2021 - Thème(s) : Thème : Droit pénal, Thème : Auteur de crime et délit

I. Très rapidement rendez-vous chez l’Avocat tu prendras

II. De tous tes droits tu useras

III. De l’entretien avec l’Avocat tu profiteras

IV. Aux seules questions posées tu répondras

V. Te taire tu sauras

VI. Répondre : « je ne sais pas » tu sauras

VII. Ne pas parler en dehors de la présence de ton Avocat tu veilleras

VIII. Te méfier du gentil enquêteur tu sauras

IX. Relire tes déclarations tu t’y obligeras

X. Refuser de signer à défaut de correction tu pourras.

Maître Chemla, l’avocat de nombreux dossiers emblématiques

Publié le 04 juillet 2017 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat, Thème : Victime d’accident collectif : bus, train, crash d’avion, Thème : Droit pénal
Tueurs en série, catastrophes naturelles, attentats : l’avocat, à la tête du cabinet ACG, défend depuis trois décennies les parties civiles dans de nombreux dossiers emblématiques.

Par L'union | Publié le 04/07/2017

"Oui, Karima a bien été tuée au Maroc". Les aveux de Dandouni

Publié le 07 septembre 2016 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victimes de violences, violences conjugales, Thème : Droit pénal, Thème : Auteur de crime et délit

Voir l'article d'Ismaël KARROUM publié dans le Charente Libre, mercredi 7 septembre 2016

Le mystère Karima Benhellal touche-t-il à sa fin ?
Karbal Dandouni, son mari, suspect numéro un puis condamné en première instance et en appel à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, parle. Enfin. Pendant onze ans, cet homme qui s’était installé à Soyaux a nié. Pendant onze ans, la famille de Karima et les enquêteurs n’avaient aucune réponse à leurs questions.

Attentats de Paris : les conséquences de l'arrestation d'Abrini

Publié le 11 avril 2016 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat, Thème : Droit pénal, Thème : Auteur de crime et délit

Une partie des auteurs survivants des attentats de Bruxelles a été arrêtée en quelques jours.

Une partie seulement, hélas.

Nous sommes désormais conscients d’être confrontées à une hydre dont les têtes repoussent à chaque fois qu’on les coupe.
Hercule en était venu à bout.

Nous y parviendrons, mais pas sans dommages et à condition d’être résolus organisés et lucides.

1/ les personnes arrêtées

Pourquoi il est impératif de juger Salah Abdeslam

Publié le 21 mars 2016 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat, Thème : Droit pénal, Thème : Auteur de crime et délit

Vous avez été nombreux à commenter mon texte de vendredi annonçant l’arrestation de Salah Abdeslam et à vous émouvoir d’un procès à venir.

Certains pensent qu’il s’agit de temps et d’argent perdu.

D’autres imaginent des complots de la part de l’Etat.

De grâce, revenons à la raison !

 

PAS DE COMPLOT

Arrestation ce 18 Mars 2016 de Salah Abdeslam

Publié le 18 mars 2016 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat, Thème : Droit pénal, Thème : Auteur de crime et délit

L’arrestation ce 18 Mars 2016 de Salah Abdeslam en Belgique constitue un succès évident de la part des autorités d’enquête et de police.

Cette réussite ne masque pas l’invraisemblable loupé commis le soir des attentats. On se rappelle que ce terroriste avait été contrôlé à trois reprises entre Paris et Bruxelles sans être inquiété. Les policiers auraient pourtant eu les moyens de diffuser son nom s'ils avaient lu les documents trouvés quelques heures plus tôt dans la polo noire retrouvée devant le BATACLAN.

Un lycéen de Châlons-en-Champagne mis en examen pour apologie du terrorisme

Publié le 27 novembre 2015 - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Droit pénal

Par Monique Derrien, le mercredi 25 novembre 2015.